"Mon texte n'est pas malade, je ne vois pas le besoin de le traiter... " (Jacques Godbout)
Au début du siècle, le dactylographe avait pour principale tâche d'imprimer directement sur le papier, caractère après caractère, le texte final de l'épreuve. La correction d'une erreur supposait une suite d'opérations physiques sur la surface du papier ou, à l'extrême limite, la destruction de la feuille et la création d'une nouvelle feuille. Utiliser le clavier comme outil de création textuelle supposait donc une réécriture fréquente du texte en cours, jusqu'à l'obtention de la version qu'on qualifiera de finale. Dans le cas où ce texte aurait à être publié pourrait s'ajouter le recours aux services d'un dactylographe professionnel qui serait chargé d'en faire la mise en page adéquate et/ou éventuellement de créer les matrices des planches destinées aux presses.
Entre le clavier et la feuille toutefois, le rapport était direct. Chaque touche enfoncée imprime un signe qui se grave sur le papier.
La prise en charge de la création du texte par le traitement de texte permet de retarder la sortie finale: la feuille de papier imprimée. Les multiples versions supposées par la création, les corrections apportées, les changements d'idées liées au vagabondage de la pensée, ne doivent plus apparaître dans la sortie physique du texte qu'est la feuille imprimée. Toutes ces opérations sont effectuées dans l'espace virtuel de la mémoire de l'ordinateur et le résultat sera éventuellement confié à un fichier de format numérique occupant quelques octets sur le disque dur ou sur une disquette.
Entre le clavier et la feuille sortie de l'imprimante tout est permis.
La compréhension de la différence entre ces processus de production textuelle permet de mieux utiliser ces outils que sont l'ordinateur et le traitement de texte. Ils permettent de plus d'identifier des règles de production de texte qui suivent le cheminement de la pensée et l'accompagnent dans le parcours de création de texte. L'utilisation efficace d'un traitement de texte impliquera donc une connaissance ou du moins une recherche des processus cognitifs impliqués dans la production de texte. Les traces des étapes de la production que sont les différentes versions d'un texte.
La réalisation efficace d'un texte à l'ordinateur suppose un certain nombres de règles qu'il convient de respecter. Ces règles sont nées de la pratique et de la recherche et permettent une meilleure gestion de la production de textes.
La règle la plus importante à appliquer est sans doute celle liée au développement de la linéarisation lors du processus d'écriture. Plante et al. (1987), Hayes et Flower (1980-94) parlent des étapes de
Bien que Deschênes (1988) considère que ces modèles "linéaires" soient "sans avenir parce qu'ils simplifient à outrance le processus de production du langage et ne rendent pas compte des caractéristiques fondamentales du processus humain de traitement de l'information", il aura pour nous l'avantage d'offrir un nombre d'étapes restreintes et faciles à cerner qui nous rendront plus aisée la tâche de distinguer des étapes de mises en texte.
Comment s'appliquent ces différentes étapes à l'utilisation d'un traitement de texte pour produire un texte? C'est ce que nous présenterons dans la section qui suit.
Le passage du dactylo à l'ordinateur nous a libérés de certaines contraintes et nous permet de jeter dans le désordre des idées sur la page puisque celle-ci n'est plus de papier mais constituée d'un espace transitoire ou tout est permis. La page, en devenant virtuelle, nous libère du geste fatidique et sans appel des signes gravés sur le papier, remettant à plus tard ce moment décisif. Cette liberté a aussi ses lois et ses règles. Le non respect de ces lois peut aller jusqu'à décourager de l'utilisation de tels outils ou de l'écriture même, peut faire ignorer la puissance contenue dans cette page virtuelle. Je pense ici au réflexe des gens habitués au travail de dactylo, qui inscrivent systématiquement, à la fin de chaque ligne, un retour de chariot, inconscients de produire ainsi autant de paragraphes et rendant difficile toute édition (modification) ultérieure du texte.
Ce premier jet peut durer de quelques minutes à une quinzaine de minutes ou plus selon le travail à accomplir, l'entraînement du sujet, l'importance des idées. L'écriture peut suivre immédiatement ou attendre un peu, le lendemain, quelques heures plus tard... les idées jetées sur la page ne sont pas perdues. Elles sont libérées de votre pensée et pourront en engendrer d'autres. Le cerveau fonctionne de telle façon qu'étant soulagé des idées qu'il conservait en essayant de ne pas les perdre, il peut maintenant en générer d'autres et c'est ce qui risque de se produire au moment de la relecture. Il cherchera à combler avec de nouvelles idées les bonnes idées amenées, trouvant parfois de nouvelles façons plus efficaces de les rendre. Il identifiera immédiatement les idées moins bonnes et les écartera au besoin.
Nous n'avons pas dit un seul mot sur la mise en page, sur l'alignement des blocs de texte, sur le choix de la police de caractère, sur l'interligne. La première étape se réalise mieux ainsi. Il ne sera temps d'aligner du texte et de le mettre en page qu'au moment où l'on possèdera du texte et c'est là le rôle de la première étape. Il est inutile de tenter de justifier le texte en même temps que l'on tente de l'écrire, c'est s'embarasser d'un processus supplémentaire qui ne peut qu'encombrer la démarche déjà assez lourde d'être à l'écoute de ses idées pour tenter de n'en perdre aucune, de rendre avec des mots les liens qu'elles entretiennent entre elles et de tenter de suivre le fil conducteur d'un discours à peine esquissé. Laissez cela pour la fin. La mise en page c'est la couleur, c'est la texture que l'on applique à une forme. On ne peut appliquer de la couleur avant d'avoir cette forme, avant d'avoir un dessin pour la supporter. Érigeons d'abord l'architecture de notre discours avant de lui donner un habit.
Alors seulement sera-t-il possible de sélectionner des blocs de texte entiers et de leur assigner une justification. Une citation peut-être mise en retrait en déplaçant sur une règle, les taquets de gauche; le style du caractère peut être changé en italique, gras, souligné; l'interligne peut devenir simple ou double, plus large encore... C'est le temps de se placer du côté du lecteur et de faire de notre texte une page facile à lire, intéressante à regarder pour l'oeil.
La dernière révision se fait sur le papier. C'est là que culmine le processus d'écriture. C'est pour produire une page de papier sur laquelle sont inscrits des caractères que nous avons entrepris cette démarche d'écriture. Cette page sera dotée d'une vie qui lui est propre, il convient, avant de la laisser partir, d'y jeter les yeux encore une fois. La première impression est rarement la bonne. Il faut habituellement reprendre l'impression de deux à quatre fois pour y retirer des coquilles, des fautes de frappes et autres banalités ayant échappé à notre regard et à celui du correcteur orthographique. Faites-vous relire. Demandez à quelqu'un de vous relire ce sera le test ultime. Le temps ainsi accordé à la pratique de l'écriture vous sera rendu doublement en satisfaction. Ne vous découragez pas, la vie même est un processus cyclique sans cesse repris, toujours nouveau, jamais pareil...